Wave Mobile Money, la licorne de la fintech présente dans huit pays africains, vient de franchir une étape décisive dans son évolution. Selon des informations révélées le 24 octobre 2025, l’entreprise a officiellement créé Wave Bank Africa S.A., une banque commerciale enregistrée en Côte d’Ivoire avec un capital social de 20 milliards de francs CFA (environ 30,5 millions d’euros).
Cette nouvelle entité a été officiellement constituée le 4 août 2025 et enregistrée le 22 août, marquant une transformation radicale du modèle économique de Wave. La banque exercera d’ores et déjà l’ensemble des activités bancaires classiques, notamment la collecte de dépôts, l’octroi de crédits, la gestion de comptes et des opérations de paiement. Cette transition vers le secteur bancaire n’est pas anodine. Elle constitue une réponse délibérée aux pressions croissantes exercées par les opérateurs télécom dominants et les régulateurs régionaux. Wave fait face à un double défi : D’une part, la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a lancé le 30 septembre sa plateforme régionale de paiement instantané (PI-SPI), visant à intégrer les systèmes financiers fragmentés à travers les huit pays membres de l’UEMOA. Fait notable : Wave et MTN sont absents de la liste des 31 banques et opérateurs de mobile money approuvés, ce qui représente un risque stratégique majeur. D’autre part, les opérateurs télécoms comme Orange et MTN ont intensifié leur guerre des prix, adoptant le modèle disruptif de Wave (frais de transfert à 1% et retraits gratuits) et allant même jusqu’à supprimer complètement les frais de retrait en Côte d’Ivoire et les frais de transfert au Cameroun.
Pour concrétiser ce projet ambitieux, Wave Mobile Money avait levé en juin 2025 une dette structurée de 117 millions d’euros (équivalent à 137 millions de dollars), dirigée par Rand Merchant Bank avec la participation d’institutions de financement du développement telles que British International Investment, Finnfund et Norfund.
Aussi, le capital social de 20 milliards de FCFA respecte déjà le minimum exigé par les régulateurs pour les banques à l’horizon 2026, démontrant la préparation rigoureuse de l’entreprise.
Wave Bank Africa S.A. sera dirigée par Coura Carine Tine, directrice régionale de Wave à Dakar, en tant que présidente du conseil d’administration, et Bamba Abdoulaye Katier, directeur général de Wave Côte d’Ivoire, comme directeur général. Cette équipe allie expertise locale et vision stratégique régionale.
Si la société est juridiquement constituée, l’étape suivante cruciale consiste à obtenir l’approbation formelle de la BCEAO pour l’octroi d’une licence bancaire. Cette autorisation permettra à Wave Bank de démarrer effectivement ses activités bancaires dans l’espace UEMOA.
La demande intervient dans un contexte où la BCEAO a prolongé jusqu’au 31 août 2025 le délai de conformité pour les prestataires de services de paiement numérique, face aux difficultés rencontrées par de nombreuses fintechs pour obtenir leurs licences.
Fondée en 2018 par Drew Durbin et Lincoln Quirk, deux diplômés de l’université Brown, Wave Mobile Money a connu une croissance explosive. La plateforme s’est imposée comme leader du mobile money en Afrique francophone grâce à son modèle disruptif : frais de transfert de 1% seulement, dépôts et retraits gratuits, et paiements de factures sans frais.
En 2021, Wave est devenue la première licorne de l’Afrique francophone avec une valorisation de 1,7 milliard de dollars suite à une levée de fonds historique de 200 millions de dollars. L’entreprise compte aujourd’hui plus de 21 millions d’utilisateurs actifs par mois et opère à travers un réseau de plus de 150 000 agents dans huit pays : Sénégal, Côte d’Ivoire, Mali, Burkina Faso, Gambie, Ouganda, Cameroun et, selon certaines sources, la Guinée.
La création de Wave Bank Africa marque une évolution stratégique majeure : passer d’un modèle à faibles marges basé sur les paiements à un modèle à marges élevées axé sur le crédit. L’objectif déclaré de “mise à disposition de crédits” indique clairement l’intention de Wave de capitaliser sur sa vaste base d’utilisateurs pour développer des opérations de prêt.

Cette transformation pourrait permettre à Wave d’accéder directement à l’infrastructure de la banque centrale et de contourner les contraintes imposées aux simples établissements de paiement.
L’arrivée potentielle de Wave dans le secteur bancaire ivoirien suscite des interrogations. Avec ses 20 millions de comptes et près de 150 000 commerçants sur sa plateforme de paiement numérique en Côte d’Ivoire (données de mars 2024), Wave détient déjà une position dominante dans l’argent mobile.
Le marché bancaire ivoirien reste hautement concurrentiel, dominé par Société Générale CI, NSIA Banque et la Banque Nationale d’Investissement. Malgré 7,2 millions de comptes bancaires individuels, le taux de bancarisation du pays s’élevait à seulement 22% en 2024, laissant 78% des Ivoiriens non bancarisés.
Wave Bank pourrait devenir la 29e banque de Côte d’Ivoire et bouleverser le paysage bancaire du premier centre financier de l’UEMOA. Certains analystes s’interrogent cependant sur l’impact potentiel sur les banques traditionnelles qui financent l’économie et les ménages, craignant qu’elles ne se voient privées des dépôts qui transitent actuellement par Wave.
La création de Wave Bank Africa S.A. représente bien plus qu’une simple diversification d’activité. Elle symbolise une redéfinition complète du modèle de la fintech africaine face aux pressions réglementaires et concurrentielles. Au lieu de simplement s’adapter aux nouvelles règles du jeu, Wave choisit de les réécrire en devenant une banque à part entière.
Si la licence bancaire est accordée par la BCEAO, Wave pourrait inaugurer une nouvelle ère de services financiers intégrés en Afrique de l’Ouest, combinant l’agilité technologique d’une fintech avec la robustesse réglementaire d’une institution bancaire. L’objectif ultime demeure inchangé : faire de l’Afrique le premier continent sans espèces.
Julien Koffi
Sauf autorisation de la rédaction ou partenariat pré-établi, la reprise des articles de abidjaneconomie.net même partielle, est strictement interdite. Tout contrevenant s’expose à des poursuites.
En savoir plus sur ABIDJAN ECONOMIE
Subscribe to get the latest posts sent to your email.










Vous devez être connecté pour poster un commentaire.