Pr Allialy Marc Ephrem : « 35% des roches qui peuvent contenir de l’or en Afrique de l’Ouest sont en Côte d’Ivoire ! »
Ainsi, l’interprétation des résultats de leurs travaux leur permet d’émettre des hypothèses et de trouver des solutions concrètes à un problème donné, voire constaté. Explorateur de la Terre, historien et prophète de son évolution, des volumes escomptés d’une mine à la prévision d’un tremblement de terre et de son impact, le dénouement de nombreux enjeux du XXI siècle, tels que la gestion des crues, des déchets ménagers et industriels, des ressources énergétiques… dépend de leur expertise.
Auteur de multiples publications scientifiques dans plusieurs revues spécialisées, Allialy Marc Ephrem est Enseignant-Chercheur. Spécialiste des Kimberlites (roches mères des pierres précieuses) et du Diamant en Afrique, il est Professeur titulaire à l’UFR des Sciences de la Terre et des Ressources Minières (STRM) de l’Université Félix Houphouet Boigny d’Abidjan, Côte d’Ivoire. Consultant Géologue Sénior auprès de Geomining SARL, RANGOLD COMINOR et O’Digital Expertise, il est, depuis plus d’un an maintenant, Coordonnateur du Projet FONSTI N° 33 Diamant de Tortiya.
Ce jeudi 14 décembre 2023, il a été promu au grade de Professeur titulaire de Géologie des Universités du CAMES, le Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur, dont le label est reconnu dans 19 pays en Afrique de l’Ouest, Centrale, dans la Région des Grands Lacs, dans l’Océan Indien et bien au-delà. Aux lendemains de la COP 28, cet Ivoirien, qui appartient au cercle très restreint des géologues Africains, a accepté de répondre à ces quelques questions. Son métier, ses domaines d’intervention… infrastructures, secteur des mines et de l’énergie en Côte d’Ivoire… Il partage son expérience et son point de vue sur un monde qui change dans cette interview exclusive.
K.K.L. : Bonjour Pr Allialy Marc Ephrem et merci d’avoir bien voulu accepter de répondre à mes questions. Tout d’abord, pouvez-vous nous définir la géologie, dans vos propres mots ?
Pr Allialy : En termes simples, je dirais que la géologie est, tout simplement, la Science qui étudie la structure et l’évolution de l’écorce terrestre. Le géologue étudie donc la composition de la terre, afin d’en savoir les caractéristiques et définir les transformations, les changements, les bouleversements qui pourraient naturellement survenir dans une zone donnée.
K.K.L. : En quoi consistent vos travaux de recherche et de consultance, au quotidien ?
Pr Allialy : Je dirais que mon champ d’intervention est vaste, mais, pour résumer, mes thématiques de recherches s’articulent autour de 3 principaux axes. Ma tâche première, c’est de rechercher des gîtes minéraux ayant un intérêt économique, comme le diamant dont je suis l’un des spécialistes d’Afrique. C’est d’ailleurs, à ce titre que je coordonne, depuis juillet 2022, le Projet diamant Tortiya en Côte d’Ivoire, fort de ma qualité de Lauréat 2022 du FONSTI (Fonds pour la Science, la Technologie et l’Innovation).
En outre, je forme du personnel, des étudiants, des ingénieurs, des Docteurs. Toujours sur le volet formation, je renforce, aussi, les capacités des travailleurs et professionnels dans le domaine des mines et de la géologie, à travers des séminaires, ateliers, conférences et colloques. Cette année, j’ai d’ailleurs eu l’immense honneur et privilège de participer à la conférence Goldschmidt à Lyon, en France, en juillet 2023 et, sur le Continent, à la Conférence de Windhoek, en Namibie, en septembre 2023. Enfin, et c’est un peu mon sacerdoce, je contribue à la compréhension de la géologie de la Côte d’Ivoire et du Craton (aire continentale stable) Ouest-Africain.
K.K.L. : Pr Allialy, vous venez de partager votre engagement pour la formation. Qu’enseignez-vous à vos étudiants et à quelles fins ? Où les conduisent leurs années d’apprentissage à vos côtés ?
Pr Allialy : Je leur enseigne ma discipline scientifique, tout simplement la géologie, à travers les matériaux de l’écorce terrestres et leurs intérêts scientifiques et économiques pour le développement de la Côte d’Ivoire. Il faut savoir que dans le système LMD, les titulaires d’un Master sont formés pour les entreprises et les Docteurs pour la recherche et l’enseignement. Mon travail est de faire en sorte qu’à la sortie de leurs études, leurs diplômes obtenus, ils soient parfaitement outillés pour répondre aux exigences professionnelles qui les attendent et aux attentes de leurs futurs employeurs.
K.K.L. : Justement, avez-vous une idée du nombre de géologues qu’il y a en Côte d’Ivoire et en Afrique ?
Pr Allialy : Question très pertinente. C’est une vraie colle que vous me posez, mais je vais tout de même tenter d’y répondre. Je n’ai pas les chiffres exacts, une Société géologique ou un Ordre des géologues seraient plus susceptibles de vous donner les chiffres précis, mais, à ma connaissance, en 2023, nous sommes un peu plus d’une centaine de géologues en Côte d’Ivoire. En Afrique, un peu plus de 5.000 géologues font partie de la Société géologique d’Afrique, dont je suis membre.
K.K.L. : Comment expliquez-vous ce nombre relativement faible, Pr Allialy ?
Pr Allialy : Si je prends spécifiquement le cas de notre pays, la Côte d’Ivoire, pour comprendre ce nombre, il faut avoir en mémoire la politique gouvernementale, menée pendant des décennies, qui stipulait que le succès de ce pays repose sur l’agriculture. De ce fait, des domaines, tels que le mien, étaient auparavant très peu connus des populations Ivoiriennes.
Ce n’est que ces 10 dernières années que le métier de géologue a commencé à être connu du grand public et à prendre de l’essor dans notre pays. L’interview que vous m’accordez me permet de faire connaitre notre activité et montrer son importance. J’espère qu’elle ouvrira la porte à bien d’autres, car la Côte d’Ivoire, au vu de ses projets et de la richesse de son sous-sol, a besoin de plus de géologues !
K.K.L. : Lors du Met Gala 2023, la scénariste Britannico-Ghanéenne, Michaela Coel, co-animatrice de l’évènement et actrice dans la production cinématographique Marvel Wakanda Forever, a arboré des bijoux, confectionnés par la joaillière Britannico-Ghanéenne Emefa Cole, à partir de 2kg d’or de la mine d’Ity. La mine de Lafigué devrait être pleinement opérationnelle courant 2024. Tout cela m’amène à vous demander comment se classe l’or Ivoirien sur le marché international ? Qualitativement, quel est le potentiel aurifère de la Côte d’Ivoire ?
Pr Allialy : Je pense que l’or Ivoirien va très bientôt surprendre le marché mondial, car en tant que géologue minier, nous savons tous que 35% des roches qui peuvent contenir l’or, en Afrique de l’Ouest, sont en Côte d’Ivoire. La politique Ivoirienne axée sur l’agriculture nous a mis un tout petit peu en retard sur nos voisins. Mais en anglais comme l’on dit : Wait and see… Surtout que le phénomène de l’orpaillage clandestin, qui sévit dans pratiquement toutes les régions de la Côte d’Ivoire, est une gangrène qu’il faut éradiquer, car il nécrose le secteur et représente de grosses pertes pour l’économie Ivoirienne.
K.K.L. : Vous nous avez éclairé sur l’or, qu’en est-il du diamant, votre spécialité, et des autres ressources minières du pays ? Pr Allialy, que cache réellement le sous-sol Ivoirien ?
Pr Allialy : Le sous-sol ivoirien présente des affinités avec celui de l’Afrique du Sud et celui de la RDC (République Démocratique du Congo), ne serait-ce que par leurs histoires géologiques. En Côte d’Ivoire, on trouve du diamant à Séguéla, dans les kimberlites roches mères des diamants, et à Tortiya dans les paléoplacers conglomératiques (dépôts sédimentaires de différentes roches et minerais). L’or existe presque partout en Côte d’Ivoire, au regard de la localisation géographique des sociétés minières. Cependant, il faut savoir que nous avons également des gisements de Nickel, de Bauxite, de Colombo-tantalite, de Manganèse, de Fer, de Lithium, etc.
K.K.L. : Le jeudi 23 novembre 2023, le Premier Ministre Ivoirien, Ministre des Sports et du Cadre de Vie, Robert Beugré Mambé a procédé à l’ouverture des vannes du gisement Baleine. Un gisement pour lequel l’Etat de Côte d’Ivoire, PETROCI et ENI attendent de fortes retombées financières. Au moment où les énergies fossiles sont source de toutes les polémiques, qu’est-ce que l’exploitation de ce champ pétrolier va, concrètement, apporter à notre nation ?
Pr Allialy : Ce gisement est le début d’une grande révolution énergétique dans notre pays, si et seulement si les contrats ont très bien été négociés.
K.K.L. : En termes d’énergies non-renouvelables, où se situe la Côte d’Ivoire ? Le solaire et l’éolien sont-ils assez développés ? L’exploitation de biomasse est-elle réellement une alternative viable pour notre transition énergétique, Pr Allialy ?
Pr Allialy : A la vérité, comparée à l’énergie éolienne en France et l’énergie solaire en Chine, nous connaissons très peu de développement. Pourtant, la Côte d’Ivoire a d’énormes potentialités en matière d’énergies renouvelables. Ce qui nous manque réellement, c’est le transfert des technologies et le financement de certains projets de recherche & développement qui dorment encore dans les tiroirs.
K.K.L. : Pour les experts, l’électrique est l’avenir de la motorisation. En Côte d’Ivoire, certaines personnes ont, déjà, des véhicules Tesla et l’entreprise Auto 24 est l’une des premières à se positionner sur ce marché, dans le pays. Votre point de vue ?
Pr Allialy : Je suis favorable aux projets de recherche portant sur les énergies renouvelables. Le laboratoire, auquel j’appartiens, est dénommé Géologie, Ressources Minérales et Energétiques GRME/UFR-STRM de l’Université Félix Houphouët-Boigny. Au vu de ce que nous constatons dans nos travaux, nous pensons qu’il est souhaitable de diversifier les sources d’énergies, afin d’éviter une dépendance de l’extérieur. Je milite pour l’autosuffisance Energétique de notre pays. Nous avons les moyens pour acquérir des transferts de technologies dans ce domaine.
K.K.L. : La Côte d’Ivoire est en chantier. Les infrastructures se multiplient et poussent comme des champignons. Cependant, les accidents et incidents sur les constructions à usage d’habitation et autres, les inondations lors de fortes pluies, etc. continuent de survenir. Pourquoi à votre avis, Pr Allialy ? Quelles pourraient être les solutions ?
Pr Allialy : A mon sens,le problème est de deux ordres. Il est dû au non-respect des lois de la nature, mais aussi au changement climatique. Aujourd’hui, et plus que jamais, il est impératif de faire appel aux experts du domaine pour proposer des solutions dans le cadre du développement durable.
Du 30 novembre au 12 décembre 2023, Dubaï a accueilli la COP 28. Lors de cette 28ème Conférence Internationale des Nations Unis sur le Changement Climatique, L’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) a posé son véto à toute sortie des énergies fossiles. Les pays et Unions, impliqués dans les négociations, doivent « traiter la réduction des émissions de gaz à effet de serre (…), accélérer le développement de toutes les technologies bas-carbone, mais aussi prendre en compte nos perspectives et nos inquiétudes (…) Nous devons trouver un consensus et un terrain d’entente sur les énergies fossiles, y compris le charbon. » A martelé le président Emirati de ces discussions, Sultan Al Jaber. Les pays émergents et en développement exigent, eux, de l’aide pour installer l’énergie solaire et/ou les éoliennes nécessaires pour leur adaptation aux ravages du changement climatique.
KOFFI-KOUAKOU Laussin
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